Ars Moriendi : L'Art de Mourir
L'Ars Moriendi fascine depuis le moyen-âge. Mais que signifie-t-il ? Est-ce un manuscrit dictant comment "bien mourir" ? Est-ce un accompagnant pour la famille du mourant ? 🤔
L'Ars Moriendi ou "l'Art de Mourir", est un regroupement de littérature chrétienne fournissant des guides spirituels aux mourants et à ceux qui les assistent. Une première version est un traité qui fournit des exhortations, des méditations, des rites et des prières. Une seconde est une description de la lutte du mourant contre les tentations et la réalisation d'une bonne mort.
Dans cet article, nous allons voir ensemble ce qu'est en détails l'Ars Moriendi et ce que signifie le fait de "bien mourir". Nous allons parler des différents ouvrages décrivant cette idéologie catholique. Les traditions qui l'entourent, ainsi que son statut aujourd'hui dans notre société. Commençons ensemble dès maintenant !
Définition de l'Ars Moriendi
L'Ars Moriendi regroupe plusieurs éditions, copies et versions d'un ouvrage populaire du XVe siècle aussi appelé "Art de Mourir". Il était destiné à apporter le confort et une instruction pratique au mourant et à sa famille. Toutes les versions ultérieures se rapportent à deux textes latins datant de 1415 ("version longue") et de 1450 ("version courte"). La popularité de ces ouvrages est sans doute due en partie à la large diffusion de maladies mortelles au cours de cette période.
La version longue a été écrite par un frère dominicain anonyme, probablement sur commande du Conseil allemand de Constance (1414-1418). Elle comprend six chapitres, dont les quatre premiers encouragent le chrétien mourant avec espoir, le détournent de la tentation, lui rappellent l'amour du Christ et l'exhortent à imiter le Christ. Les deux derniers chapitres enseignent aux amis et à la famille comment se comporter au chevet des mourants et comment prier pour eux. 🙏
La version courte de l'Ars Moriendi
La version courte, dont la première date d'environ 1450, est essentiellement une adaptation du deuxième chapitre de la version longue, concernant cinq tentations de résister à la mort. Celles-ci étaient illustrées par des paires de gravures sur bois, montrant chaque tentation et sa défaite. Cette version n'a jamais été traduite en anglais, mais les éditions manuscrites et en blocs de livres étaient populaires en Grande-Bretagne.
Les copies manuscrites étaient incroyablement populaires, et de nombreuses éditions imprimées furent publiées dans toute l'Europe après l'avènement de l'imprimerie. Il y eut près de 100 éditions de la version longue avant 1500. Les exemplaires détenus par la librairie Bodléienne proviennent de France, d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, des Pays-Bas et d'Angleterre. Ils datent pour la plupart des années 1490.
Le premier de ses deux livres décrit la façon de bien vivre comme la préparation essentielle à une bonne mort. Il traite des vertus chrétiennes, des textes de l'Évangile et des prières, et commente longuement les sept sacrements comme faisant partie intégrante de la vie et de la mort des chrétiens. Le second livre, L'art de bien mourir à l'approche de la mort, recommande de méditer sur la mort, le jugement, l'enfer et le ciel, et aborde les sacrements de la pénitence, de l'eucharistie et de l'extrême-onction ou onction des malades avec de l'huile.
Conseils Pratiques aux Mourants
Cet ensemble de littérature chrétienne fournit donc des conseils pratiques aux mourants et aux personnes qui les assistent. Ces manuels informaient les mourants sur ce à quoi ils devaient s'attendre, et prescrivaient des prières, des actions et des attitudes qui conduiraient à une "bonne mort" et au salut. Les premiers ouvrages de ce type sont apparus en Europe au début du XVe siècle et ont donné naissance à un genre d'écriture chrétienne remarquablement flexible qui a perduré jusqu'au XVIIIe siècle. ⏳
Écrit en latin, Ars Moriendi aurait été principalement lu par des prêtres et des érudits, parmi les rares personnes qui auraient su lire et écrire. Les prêtres seraient alors en mesure de transmettre ce savoir aux chrétiens mourants et à leurs familles, afin qu'ils soient préparés au jugement divin dans l'au-delà.
L'ouvrage met l'accent sur la dernière heure, stimule l'intérêt pour les circonstances de la mort et incite à des prières et des invocations de saints offrant une protection contre une mort soudaine et non préparée. L'accent émis sur l'ars vivendi remonte à une maxime stoïque, dont la signification chrétienne a été donnée par les Pères de l'Église déclarant qu'aucune mort n'est mauvaise si elle est précédée d'une bonne vie.
La Guerre et la Maladie (Peste Noire)
La maladie, la guerre et l'évolution de la théologie et des politiques de l'Église ont constitué la toile de fond de ce nouvel ouvrage. La peste noire avait dévasté l'Europe au siècle précédent et ses récurrences, ainsi que d'autres maladies, continuaient à raccourcir la vie. Les guerres et la violence ont aussi fait de nombreux morts. C'est notamment la raison pour laquelle les gens s'intéressaient tant à cet ouvrage à l'époque. ☠️
La guerre de Cent Ans (1337-1453) entre la France et l'Angleterre a été le plus grand conflit de l'époque, mais sa violence et son instabilité politique ont également reflété de nombreux conflits locaux. La fragilité de la vie dans ces conditions a coïncidé avec un changement de comportement des gens et de leur rapport à la vie et à la mort. La mort et les questions au sujet de l'au-delà étaient donc au cœur des conversations. Et le fait de vouloir "bien mourir" une préoccupation majeure.
La fin du Moyen Âge a été une période d'incertitude, de bouleversements et de mort. La peste et les guerres presque constantes avaient tué des millions de personnes dans toute l'Europe et les gens se tournaient vers leur foi pour se rassurer. Les hommes instruits de l'Église chrétienne ont compris que les gens avaient besoin d'une orientation pratique face à la mort. La réponse fut un guide illustré de la mort, connu sous le nom d'Ars Moriendi. 💀
Dans l'Europe médiévale, la mort était omniprésente. La peste bubonique, également connue sous le nom de peste noire, a tué plus de 20 millions de personnes, soit les deux tiers de la population européenne. La famine a frappé à plusieurs reprises et tout au long des années 1300 et 1400, il ne s'est guère passé d'année sans conflit, rébellion et guerre. Face à tant de morts et de destructions, les gens se sont tournés vers la religion pour comprendre ce qui se passait en fin de vie.
Arrivée de l'Ars Moriendi
Pour répondre à ce besoin, l'Ars Moriendi a vu le jour dans le cadre du programme des autorités pour l'éducation des prêtres et des laïcs. Au XIVe siècle, des catéchismes ont commencé à apparaître et des manuels ont été rédigés pour préparer les prêtres auprès des mourants. Le Concile de Constance (1414-1418) a été l'occasion de la composition de l'Ars Moriendi.
L'Ars Moriendi survit dans deux versions différentes. La première est un traité plus long de six chapitres qui prescrit les rites et les prières à utiliser au moment de la mort. La seconde est un livre bref et illustré qui montre la lutte du mourant contre les tentations avant d'atteindre une bonne mort. Comme Mary Catharine O'Connor le soutient dans son livre The Arts of Dying Well, la version longue a été composée plus tôt et la version courte est un raccourci qui adapte et illustre le deuxième chapitre du traité. 📖
Pourtant, O'Connor a également souligné l'originalité artistique de la version courte. Car si de nombreuses images de lits de mort sont antérieures à l'Ars Moriendi, jamais auparavant les scènes de lits de mort n'avaient été reliées en une série "avec une sorte d'histoire, ou du moins d'action connexe, qui les traverse". Le traité latin, plus long, et ses nombreuses traductions ont survécu dans des manuscrits et des éditions imprimées dans toute l'Europe. La version illustrée a circulé principalement sous forme de "livres en bloc", où les images et le texte étaient imprimés à partir de blocs de bois sculptés.
The Book of the Craft of Dying
Une traduction anglaise du traité plus long est apparue vers 1450 sous le titre The Book of the Craft of Dying. Le premier chapitre fait l'éloge de la mort des bons chrétiens et des pécheurs repentis qui meurent "volontiers et volontairement". Parce que la meilleure préparation à une bonne mort est une bonne vie, les chrétiens devraient "vivre dans une telle sagesse qu'ils puissent mourir en toute sécurité, à chaque heure, quand Dieu le veut". Pourtant, le traité se concentre sur la mort et suppose que la repentance sur le lit de mort peut apporter le salut.
Tentations et Remèdes de la Mort
Le deuxième chapitre est la section la plus longue et la plus originale du traité. Il confronte les mourants à cinq tentations et à leurs "inspirations" ou remèdes correspondants :
- La tentation contre la foi par opposition à la réaffirmation de la foi.
- La tentation du désespoir par opposition à l'espoir du pardon.
- La tentation de l'impatience par opposition à la charité et à la patience.
- La tentation de la vanité ou de la complaisance par opposition à l'humilité et au souvenir des péchés.
- La tentation de l'avarice ou de l'attachement à la famille et aux biens par opposition au détachement.
Les deuxième et quatrième tentations sont particulièrement importantes, car elles mettent à l'épreuve le sentiment de culpabilité et l'estime de soi du mourant dans deux états très contrastés : une conscience de ses péchés qui le place au-delà de la rédemption et une confiance en ses mérites qui ne voit pas la nécessité de pardonner. Le désespoir et la confiance en soi peuvent tous deux être accablants car ils excluent le repentir. C'est pourquoi les remèdes correspondants encouragent les mourants à reconnaître leurs péchés dans l'espoir, car tous les péchés peuvent être pardonnés par la contrition et la mort salvatrice du Christ. ✝️
Comme le note Ariès, à travers les cinq tentations, l'Ars Moriendi souligne le rôle actif des mourants dans la libre décision de leur destin. Car seul leur libre consentement aux tentations démoniaques ou aux inspirations angéliques détermine s'ils sont sauvés ou non.
L'Art de Bien Mourir
Le troisième chapitre du traité plus long prescrit des "interrogatoires" ou questions qui amènent les mourants à réaffirmer leur foi, à se repentir de leurs péchés et à s'engager pleinement dans la passion et la mort du Christ. Le quatrième chapitre demande aux mourants d'imiter les actions du Christ sur la croix et prévoit des prières pour "une fin claire" et la "béatitude éternelle qui est la récompense d'une mort sainte".
Dans le cinquième chapitre, l'accent est mis sur les personnes qui assistent les mourants, y compris la famille et les amis. Ils doivent suivre les prescriptions antérieures, présenter aux mourants des images du crucifix et des saints, et les encourager à se repentir, à recevoir le sacrement et à rédiger un testament en disposant de leurs biens. ✍️
Dans le sixième chapitre, les mourants ne peuvent plus parler en leur nom propre, et les assistants sont chargés de réciter une série de prières pour "remettre l'esprit de notre frère" entre les mains de Dieu.
L'Art Ars Moriendi
L'Ars Moriendi illustré se termine par une image triomphante de la mort. L'homme mourant est au centre d'une scène très animée. Un prêtre l'aide à tenir une bougie dans sa main droite alors qu'il rend son dernier soupir. Un ange reçoit son âme sous la forme d'un enfant nu, tandis que les démons d'en bas expriment leur frustration d'avoir perdu cette bataille. Une scène de crucifixion apparaît sur le côté, avec Marie, Jean et d'autres saints. Ce portrait idéalisé complète ainsi "l'art de bien mourir". 🕯
La Tradition de l'Ars Moriendi
Cette tradition est restée forte au sein des communautés catholiques romaines. Dans son livre From Madrid to Purgator, Carlos Eire a documenté l'influence de la tradition en Espagne où l'Ars Moriendi a façonné les récits publiés sur la mort de Sainte Thérèse d'Avila (1582) et du roi Philippe II (1598). Dans son étude, Daniel Roche a constaté que leur production avait atteint un sommet dans les années 1670 et avait décliné au cours de la période allant de 1750 à 1799. Il a également noté le rôle prépondérant des Jésuites dans la rédaction des textes catholiques d'Ars Moriendi, avec soixante auteurs rien qu'en France. 🇫🇷
Dans son livre The Reformation of Ritual, Susan Karant-Nunna a documenté la persistance de la tradition Ars Moriendi dans l'art de la mort en Allemagne à la fin du XVIe siècle. Bien que les réformateurs aient supprimé la dévotion aux saints et les sacrements de pénitence et d'onction à l'huile, les pasteurs luthériens ont continué à instruire les mourants et à les exhorter à se repentir, à se confesser et à recevoir l'Eucharistie. Le Manuel de préparation à la mort de Martin Moller (1593) donne des instructions détaillées sur cet art de la mort.
L'Art de Bien Mourir Aujourd'hui
Selon beaucoup de spécialistes, cette tradition n'a pas vraiment disparue. Au contraire, son assimilation aux "arts de vivre" chrétiens a finalement conduit à mettre moins l'accent sur le lit de mort, et avec lui le déclin d'un genre distinct consacré à l'heure de la mort. L'art de mourir a ensuite trouvé une place dans des livres de prières et des manuels pour des rituels de conception plus large, où il demeure aujourd'hui. L'Ars Moriendi est donc revenu à ses origines.
Après avoir émergé de la prière et de la liturgie de la fin du Moyen Âge, il est retombé dans la matrice de la prière et de la pratique chrétienne à la fin des XVIIe et XVIIIe siècles. L'Ars Moriendi suggère des questions utiles pour les approches de la mort au XXIe siècle. Au cours de sa longue existence, il a ritualisé la douleur et le chagrin de la mort dans les formes conventionnelles chrétiennes de croyance, de prière et de la pratique. 🙏
Avec un héritage de plus de 600 ans, l'Ars Moriendi est toujours aussi pertinent, bien que sous une nouvelle forme numérique. Le manuel médiéval sur la mort a été ressuscité, et il a continué de vivre dans un nouveau millénaire, tout en apportant un confort spirituel et des conseils aux personnes en fin de vie.